Philippe de Saint Robert
ancien commissaire général à la Langue française, écrivain
(Le Libre Journal de Philippe de Saint Robert ». Toutes les quatre semaines, le mardi à 18 h 00.)
Nous vivons une période de déclin, où les extrémistes véritablement dangereux sont loin d'être ceux que nos « chiens de garde » désignent à la vindicte médiatique. Une chape de plomb est tombée sur notre malheureux pays : pensée unique, langue unique, monnaie unique... Et tous nos « partis de gouvernement » confondus ne forment-ils pas, à leur manière, un parti unique ? Vous, cher Jean Ferré, vous tenez encore aux vieux clivages, vous opposez la droite à la gauche, mais il y a longtemps que, pour ma part, j'ai détecté en Jacques Chirac le meilleur disciple politique et intellectuel de François Mitterrand, et j'observe que Lionel Jospin n'est pas un plus mauvais disciple d'Alain Juppé dont il a repris, avec une servilité parfaite, le discours d'inféodation au mark et aux critères de Maestricht, non sans s'être fait élire en disant qu'il ne leur sacrifierait pas l'emploi et la croissance. Chirac avait mis six mois pour retourner sa politique, Jospin n'a pas eu besoin de la retourner puisqu'il s'est tout de suite rallié à l'autre. .
Ces considérations sont peut-être un peu réductrices, mais c'est qu'aujourd'hui le problème est simple: il y a ceux pour qui la souveraineté nationale est intangible, ce sont les légitimistes de la République, et il y a ceux qui acceptent que la France se désintègre du dedans pour mieux s'intégrer dans une construction européenne qui, par son fédéralisme chaque jour davantage dévoilé, tourne le dos aux principes mêmes du Traité de Rome, et précipite dans le chaos l'Europe qu'ils disent appeler de leurs voeux. Ceux-là sont les éternels ultramontains bien connus de notre histoire, qui attendent tout des autres et jamais rien d'eux-mêmes. Ceux que Jacques Chirac, en sa folle jeunesse, appelait le « parti de l'étranger »...
Avais-je besoin de cette introduction abusivement didactique pour expliquer le malheureux bonheur que j'ai d'être parmi vous? Malheureux, dis-je, car il est déplorable que, dans une société « plurielle » comme la nôtre, non seulement une certaine liberté d'expression et d'idées ne soit plus possible ailleurs, mais qu'en plus elle gêne encore suffisamment ceux qui détiennent tous les autres moyens de communication pour qu'ils organisent des campagnes contre vous. Je n'ai pas hésité un instant, vous le savez, pour accepter de reprendre et continuer l'émission mensuelle de mon vieil ami Jean de Beer, dont j'étais déjà complice au temps de Notre République et lorsque France-Culture était dirigée par Yves Jaigu, avant de sombrer pendant quatorze ans dans le « politiquement correct ». Jean de Beer était un vieux résistant. Je crois en être un à ma manière. Mais quels sont nos moyens de résister ? Dire et redire quelques vérités essentielles, en prenant garde de ne pas nous rendre malades. Ce qui m'encourage et me console, c'est le nombre de gens qui, n'étant « pas d'accord avec cette radio» (en fait, avec les idées ou comportements de tel ou tel de ses intervenants), me disent ne pouvoir s'empêcher de l'écouter quand même, tant ils sont ennuyés de ce qu'ils entendent partout ailleurs.
C'est que quelques personnages se sont arrogés en France une sorte de monopole de la désinformation, appelée en terme savant « communication ». Serge Halimi vient d'en dresser un tableau assassin et occulté dans un petit ouvrage intitulé Les Nouveaux chiens de garde. Tout le drame de la société française et de sa façon de penser, ou plutôt de ne plus penser par elle-même, est brossé dans ce petit chef d'oeuvre du politiquement incorrect : « En 1932, pour dénoncer le philosophe qui aimerait dissimuler sous un amas de grands concepts sa participation à l'actualité impure de son temps, Paul Nizan écrivit un petit essai, Les chiens de garde. De nos jours, les simulateurs disposent d'une maquilleuse et d'un micro plus souvent que d'une chaire. Metteurs en scène de la réalité sociale et politique, intérieure et extérieure, ils les déforment l'une après l'autre. Ils servent les intérêts des maîtres du monde. Ils sont les nouveaux chiens de garde. Or ils se proclament contre-pouvoir... »
RADIO-COURTOISIE échappe à la concentration du pouvoir médiatique orchestré par les culs bénis de la pensée unique. Elle échappe aussi à ce type universellement répandu d'émissions où vous avez trois minutes et demie pour faire le tour d'un problème, et où de toute façon la question posée vous indique déjà ce que vous devez répondre. On y redécouvre qu'il existe un pays réel, à l'entendre se manifester spontanément tout au long des émissions, tour à tour louangeur, grincheux, provocateur, mais répondant « présent » ! Y découvre-t-on la francophonie? On y maintient au moins l'idée que, selon le voeu maintes fois exprimé par Claude Allègre, occasionnellement ministre de l'Education dite « nationale », le français postule encore timidement au rôle de « langue régionale »... mais ne me mettez pas sur ce sujet !
Salut et fraternité !
P. S-R