Que représente pour vous Radio-Courtoisie?
Jacques Lacant
professeur émérite à l'Université de Paris X
(Les Livres du Jour: « Langue française, joyau de notre patrimoine ». Toutes les deux semaines, le lundi à 10 h 45.)
L'origine de ma coopération aux émissions de RADIO COURTOISIE, dès leur début, est d'une grande simplicité: je lisais toujours avec un vif intérêt les critiques de radio ou de télévision qu'écrivait Jean Ferré pour Le Figaro Magazine: leur justesse, l'excellence de la langue dans laquelle elles s'exprimaient me plaisaient et j'écrivis à leur auteur pour le féliciter. C'est ainsi que nous fîmes, connaissance. Je rédigeais de mon côté, à l'époque pour Le Figaro quotidien des chroniques culturelles dont un de mes auditeurs a eu la gentillesse de m'écrire, récemment, qu'il les a toutes conservées et les relit avec plaisir.
Il faut dire aussi que j'ai toujours eu une prédilection pour la radio. Pouvoir s'exprimer sans interférence de l'image, par ce que nous avons sans doute de plus personnel: la voix, c'est à mon sens le mode de communication le plus direct et le plus vrai. Je disposais d'une certaine expérience: après la Libération de Paris j'avais été chargé avec Henri Jourdan, par ce qu'on nommait alors la Radiodiffusion de la Nation française, d'émissions quotidiennes en direct vers l'Allemagne et l'Autriche; une émission de combat, en allemand bien entendu, et pendant trois quarts d'heure chaque soir, dimanche comme semaine! Plus tard, j'eus l'occasion de m'adresser à un auditoire allemand sur un ton plus pacifique, en participant à des émissions sur la culture française, quand je dirigeais, dans les années 1950, l'Institut français de Cologne. Revenu en France et dans le sein de l'alma mater, c'est pour le compte de Radio-Nanterre que je vins devant les micros de l'O.R.T.F. parler des grands thèmes de la Littérature générale: le mythe de don Juan, l'idée de progrès en Europe au XVIIIè siècle, etc.
L'envie de reprendre une activité que j'avais toujours appréciée, sur un sujet - la langue française - qui me tenait fort à coeur, pour une radio qui lui attribuait d'emblée une importance primordiale en se mettant sous la bannière de la francophonie, sous la responsabilité d'un homme enfin dont je connaissais le talent, fit que l'offre de participer à la constitution de l'équipe appela de ma part, sans hésitation, une réponse positive. Il fallait trouver un titre à mon émission: je n'hésitai pas davantage: la langue, depuis que François Ier, à Villers-Cotterêts, ordonna de rédiger les actes officiels et de justice en Langage françois et non autrement, est pour moi une part essentielle de l'identité française. Je suis indigné que l'on puisse conférer la nationalité sans exiger la maîtrise de la langue. En choisissant le titre Langue française, joyau de notre patrimoine, je soulignais - comme Henri Estienne - la précellence de la langue française, et en même temps sa beauté.
Je commençai au rythme d'une émission par mois et d'abord sur l'histoire des dictionnaires; mais Jean Ferré me demanda bientôt de prendre la parole une fois par quinzaine. Surtout, l'assistance indispensable fut confiée à Brigitte Level, présidente - aujourd'hui d'honneur de la société des poètes français et qui a enseigné le français durant vingt-cinq années aux étudiants étrangers de la Sorbonne. Perspicaces, plusieurs de nos auditeurs ont observé la complémentarité non seulement de nos façons d'aborder les difficultés de la langue, mais même celle de nos voix: ce que la mienne peut avoir de trop « doctoral» - écho de la chaire! - est corrigé par la fraîcheur enjouée de la sienne! Quatre rediffusions et l'envoi de cassettes, commandées même de l'étranger, permettent d'agrandir l'audience en attendant que d'autres provinces de France s'ouvrent à nos émissions.
Quant à la conception de l'émission, elle découle des voeux de ses auditeurs au moins autant que de notre initiative. Ils prirent en effet très vite l'habitude de nous interroger par lettre, par téléphone, par télécopie, sur les règles de la grammaire, les subtilités de la syntaxe, l'emploi judicieux du vocabulaire, l'origine des locutions... si bien qu'une émission faite sous la rubrique Le Livre du Jour devint tout naturellement une chronique du bon et du mauvais usage. Cette évolution nous convenait parfaitement et avait donc l'agrément de notre auditoire, confirmé par un courrier abondant, documenté, plein d'encouragements et d'éloges - des éloges dont l'excès, parfois, pourrait nous faire rougir de confusion (ou de plaisir... ? ); mais à la réflexion ces louanges concernent plutôt l'intérêt permanent du sujet, la langue française, que ses modestes servants. Qui parviendrait à ennuyer en faisant des gammes sur un instrument si harmonieux et si sensible, souvent brutalisé, toujours menacé d'une fausse note, mais admirable quand il est bien accordé?
Nous avons fait à cet égard une expérience extrêmement réconfortante: les personnes les plus diverses par l'âge, le milieu social, le degré d'instruction, portent un intérêt très vif - pour ne pas dire un attachement passionné - à la langue française. Le désir de bien s'exprimer, de respecter l'orthographe, de prendre les mots dans leur signification véritable et la curiosité de connaître leur origine, le cheminement de leur sens et de leurs emplois sont très vivaces chez un grand nombre de Français, qui déplorent l'avilissement de la langue courante et la désinvolture avec laquelle la traitent si souvent les médias; et ce souci est partagé par beaucoup plus de jeunes gens qu'on ne le dit communément, ainsi que par des étrangers francophones ou non.
Si tous les auditeurs qui nous écrivent se montrent persuadés de la nécessité de préserver la langue française de la dégradation dans une société de plus en plus disparate, tous n'ont pas le même sentiment de la langue: certains sont attachés à un « purisme » intransigeant, que d'autres ressentent comme « excessif » - ce qualificatif figure dans la définition que donne du purisme Le Petit Robert - et allèguent l'évolution naturelle et nécessaire du langage. Notre position dans cette querelle toujours renaissante est nuancée, comme doit être nuancé tout ce qui concerne la langue, par conviction et par esprit de conciliation. Le français ne s'est pas arrêté à Littré, mais sa remarquable stabilité, depuis des siècles, qui nous permet un contact immédiat avec les grandes oeuvres classiques, est un privilège auquel on ne saurait renoncer.
A des objets nouveaux il faut des mots nouveaux, à condition que cela ne consiste pas uniformément à remplacer par du « franglais » ceux dont notre langue dispose déjà et qui remplissent leur office, ou à instituer la règle de l'apocope. A des formes nouvelles de pensée peut correspondre une plus grande liberté de la phrase... à condition de ne pas vouloir imposer une syntaxe contraire à la nôtre! La pureté, après tout, est vertu, délectable quand elle n'est pas revêche, et c'est la corruption du langage, l'indifférence, le laisser-aller, les mauvais traitements qui provoquent des ripostes parfois trop dogmatiques.
Nos émissions essaient modestement de distinguer le bon usage du mauvais: elles s'inspirent de la volonté, que partagent visiblement nos auditeurs, de ne pas accepter que l'ignorance, les modes, l'abandon délabrent ce superbe édifice que figure la langue française. Nous les faisons dans le même esprit que l'ingénieur Paul Camus quand il écrivait au début du premier numéro de Défense de la langue française, en janvier 1959 : « La plupart des Français reconnaissent que leur langue se corrompt, mais beaucoup pensent que l'on n'y peut tien. Ils se consolent en se disant qu'après tout le français n'a cessé d'évoluer et que le mauvais usage d'aujourd'hui n'est peut-être que le bon usage de demain. Combattre cette résignation sera la première tâche de notre association. » Ce scepticisme « élégant » nous est également étranger et il l'est, je crois, à ceux qui nous écoutent...
J. L.