[article rédigé par Aristote, merci à lui !]
présenté par Jean Decellas
Philippe Desportes (1546-1606)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Desportes
http://www.anthologie.free.fr/anthologie/desportes/desportes.htm
http://www.florilege.free.fr/florilege/desporte/index.htm
pour lire (ou télécharger) les œuvres de Desportes sur le site Gallica :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k53677z
extraits :
▶ "Bergeries"
Chanson
Ô bien heureux qui peut passer sa vie
Entre les siens franc de haine et d'envie,
Parmi les champs, les forêts et les bois,
Loin du tumulte et du bruit populaire,
Et qui ne vend sa liberté pour plaire
Aux passions des princes et des rois !
Il n'a souci d'une chose incertaine ;
Il ne se plaît d'une espérance vaine ;
Nulle faveur ne le va décevant,
De cent fureurs il n'a l'âme embrasée
Et ne maudit sa jeunesse abusée
Quand il ne trouve à la fin que du vent.
Il ne frémit quand la mer courroucée
Enfle ses flots contrairement poussée
Des vents émus soufflant, horriblement,
Et quand la nuit à son aise il sommeille
Une trompette en sursaut ne l'éveille
Pour l'envoyer du lit au monument.
L'ambition son courage n'attise ;
D'un fard trompeur son âme ne déguise ;
Il ne se plaît à violer sa foi ;
Des grands seigneurs l'oreille il n'importune ;
Mais, en vivant content de sa fortune,
Il est sa cour, sa faveur et son roi.
Je vous rends grâce, ô déités sacrées
Des monts, des eaux, des forêts et des prées,
Qui me privez de pensers soucieux,
Et qui rendez ma volonté contente,
Chassant bien loin ma misérable attente
Et les désirs des cœurs ambitieux.
Dedans mes champs ma pensée est enclose ;
Si mon corps dort, mon esprit se repose,
Un soin cruel ne le va dévorant.
Au plus matin la fraîcheur me soulage ;
S'il fait trop chaud je me mets à l'ombrage,
Et s'il fait froid je m'échauffe en courant.
Si je ne loge en ces maisons dorées,
Au front superbe, aux voûtes peinturées
D'azur, d'émail et de mille couleurs,
Mon œil se plaît des trésors de la plaine
Riche d'œillets, de lis, de marjolaine
Et du beau teint des printanières fleurs.
Dans les palais enflés de vaine pompe,
L'ambition, la faveur qui nous trompe,
Et les soucis logent communément ;
Dedans nos champs se retirent les fées,
Reines des bois à tresses décoiffées,
Les jeux, l'amour et le contentement.
Ainsi vivant, rien n'est qui ne m'agrée :
J'ois des oiseaux la musique sacrée,
Quand au matin ils bénissent les cieux,
Et le doux son des bruyantes fontaines
Qui vont coulant de ces roches hautaines
Pour arroser nos prés délicieux.
Que de plaisir de voir deux colombelles,
Bec contre bec, en trémoussant des ailes,
Mille baisers se donner tour à tour,
Puis, tout ravi de leur grâce naïve,
Dormir au frais d'une source d'eau vive,
Dont le doux bruit semble parler d'amour !
Que de plaisir de voir sous la nuit brune,
Quand le soleil a fait place à la lune,
Au fond des bois les nymphes s'assembler,
Montrer au vent leur gorge découverte,
Danser, sauter, se donner cotte-verte,
Et sous leurs pas tout l'herbage trembler !
Le bal fini je dresse en haut la vue,
Pour voir le teint de la lune cornue,
Claire, argentée, et me mets à penser
Au sort heureux du pasteur de Latmie ;
Lors je souhaite une aussi belle amie,
Mais je voudrais en veillant l'embrasser.
Ainsi la nuit je contente mon âme,
Puis quand Phébus de ses rais nous enflamme
J'essaye encor mille autres jeux nouveaux ;
Diversement mes plaisirs j'entrelace,
Ores je pêche, or' je vais à la chasse,
Et or' je dresse embuscade aux oiseaux.
Je fais l'amour mais c'est de telle sorte
Que seulement du plaisir j'en rapporte,
N'engageant point ma chère liberté ;
Et quelques lacs que ce dieu puisse faire
Pour m'attraper, quand je m'en veux distraire,
J'ai le pouvoir comme la volonté.
Douces brebis, mes fidèles compagnes,
Haies, buissons, forêts, prés et montagnes,
Soyez témoins de mon contentement !
Et vous, ô dieux, faites, je vous supplie,
Que cependant que durera ma vie
Je ne connaisse un autre changement.
[NDLR : le « berger de Latmie » est Endymion]
▶ "Diverses Amours"
Adieu à la Pologne (court extrait)
Adieu, Pologne, adieu, plaines désertes,
Toujours de neige et de glaces couvertes ;
Adieu, pays, d’un éternel adieu !
Ton air, tes murs, m’ont si fort su déplaire,
Qu’il faudra bien que tout me soit contraire
Si jamais plus je retourne en ce lieu...
▶ "Amours de Diane", Premier livre, 34
Celui que l'Amour range à son commandement
Change de jour en jour de façon différente.
Hélas ! j'en ai bien fait mainte preuve apparente,
Ayant été par lui changé diversement.
Je me suis vu muer, pour le commencement,
En cerf qui porte au flanc une flèche sanglante,
Depuis je devins cygne, et d'une voix dolente
Je présageais ma mort, me plaignant doucement.
Après je devins fleur, languissante et penchée,
Puis je fus fait fontaine aussi soudain séchée,
Epuisant par mes yeux toute l'eau que j'avois.
Or je suis salamandre et vis dedans la flamme,
Mais j'espère bientôt me voir changer en Voix,
Pour dire incessamment les beautés de ma Dame.
▶ "Diverses Amours"
Contre une nuit trop claire
Ô Nuit ! jalouse Nuit, contre moi conjurée,
Qui renflammes le ciel de nouvelle clarté,
T'ai-je donc aujourd'hui tant de fois désirée
Pour être si contraire à ma félicité ?
Pauvre moi ! je pensais qu'à ta brune rencontre
Les cieux d'un noir bandeau dussent être voilés
Mais, comme un jour d'été, claire tu fais ta montre,
Semant parmi le ciel mille feux étoilés.
Et toi, sœur d'Apollon, vagabonde courrière,
Qui pour me découvrir flambes si clairement,
Allumes-tu la nuit d'aussi grande lumière,
Quand sans bruit tu descends pour baiser ton amant ?
Hélas ! s'il t'en souvient, amoureuse déesse,
Et si quelque douceur se cueille en le baisant,
Maintenant que je sors pour baiser ma maîtresse,
Que l'argent de ton front ne soit pas si luisant.
Ah ! la fable a menti, les amoureuses flammes
N'échauffèrent jamais ta froide humidité ;
Mais Pan, qui te connut du naturel des femmes,
T'offrant une toison, vainquit ta chasteté.
Si tu avais aimé, comme on nous fait entendre,
Les beaux yeux d'un berger, de long sommeil touchés,
Durant tes chauds désirs tu aurais pu apprendre
Que les larcins d'amour veulent être cachés.
Mais flamboie à ton gré, que ta corne argentée
Fasse de plus en plus ses rais étinceler :
Tu as beau découvrir, ta lumière empruntée
Mes amoureux secrets ne pourra déceler.
Que de fâcheuses gens, mon Dieu ! quelle coutume
De demeurer si tard dans la rue à causer !
Otez-vous du serein, craignez-vous point la rhume ?
La nuit s'en va passée, allez vous reposer.
Je vais, je viens, je fuis, j'écoute et me promène,
Tournant toujours mes yeux vers le lieu désiré ;
Mais je n'avance rien, toute la rue est pleine
De jaloux importuns, dont je suis éclairé.
Je voudrais être roi pour faire une ordonnance
Que chacun dût la nuit au logis se tenir,
Sans plus les amoureux auraient toute licence ;
Si quelque autre faillait, je le ferais punir.
Ô somme ! ô doux repos des travaux ordinaires,
Charmant par ta douceur les pensers ennemis,
Charme ces yeux d'Argus, qui me sont si contraires
Et retardent mon bien, faute d'être endormis.
Mais je perds, malheureux, le temps et la parole,
Le somme est assommé d'un dormir ocieux
Puis durant mes regrets, la nuit prompte s'envole,
Et l'aurore déjà veut défermer les cieux.
Je m'en vais pour entrer, que rien ne me retarde,
Je veux de mon manteau mon visage boucher ;
Mais las ! je m'aperçois que chacun me regarde,
Sans être découvert, je ne puis m’approcher.
Je ne crains pas pour moi ; j'ouvrirais une armée,
Pour entrer au séjour qui recèle mon bien;
Mais je crains que ma dame en pût être blâmée,
Son repos, mille fois m'est plus cher que le mien.
Quoi ? m'en irai-je donc ? mais que voudrais-je faire ?
Aussi bien peu à peu le jour s'en va levant,
Ô trompeuse espérance ! Heureux cil qui n'espère
Autre loyer d'amour que mal en bien servant !
furent évoqués (entre autres) :
Pierre de Ronsard (1524-1585), éclipsé en son temps par Desportes
http://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_de_Ronsard
http://www.anthologie.free.fr/anthologie/ronsard/ronsard.htm
Henri III (1551-1589), protecteur de Desportes
http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_III_de_France